JAEA 1, 2016, pp. 71-80
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Les constructions axiales thoutmosides devant le 4e pylône de Karnak

François Larché

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À la suite des travaux successifs de S. Sauneron, J. Vérité et J. Lauffray,1 des sondages2 ont été effectués par le Centre Franco-Égyptien d’Études des Temples de Karnak, d’abord en 1999-2000, puis en 2004 devant le 4e pylône du temple.3 L’observation des vestiges, en élévation et en fondation, m’a déjà permis de proposer quatre études architecturales successives4 qui, tout en ajoutant de nouveaux détails, en ont précisé les conclusions. Dans ce qui va suivre, des indices complémentaires permettent d’assurer l’emplacement des obélisques de Thoutmosis III sur les bases adjacentes au parement oriental du 3e pylône, là où la plupart de leurs fragments ont été découverts. Cette reconstruction repose sur le fac-similé de ces fragments qui ont tous été dessinés entre 1997 et 2004. Ensuite, l’encastrement de la chapelle en calcite d’Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier sera à nouveau expliqué, pour répondre à une critique mettant en cause cet emplacement sur la base d'un plan déformé, et par conséquent inexact, des vestiges archéologiques.

L’emplacement des obélisques de Maâtkarê-Thoutmosis II

La réalisation des dernières planches de la publication La cour à portique de Thoutmosis IV5 a nécessité d’observer à nouveau les deux fondations d’obélisque, découvertes sous les môles du 3e pylône, de part et d’autre de l’axe ouest-est (pl. 9, pls. 19-34). Un détail particulier de leur lit d’attente a soulevé une question que j’avais simplement posée sur ces planches sans pouvoir y répondre de façon satisfaisante. En effet, un ressaut quadrangulaire, bien marqué sur l’arase de ces deux fondations, délimite la surface de la base en granite sur laquelle reposait chaque obélisque (pl. 34). Or, cette surface (3,14 x 3,24 m) est proche de celle de la base en granite sur laquelle repose toujours l’obélisque sud de Thoutmosis Ier (hauteur : 20 m), alors que cette surface est bien inférieure à celle des bases en granite adossées aux môles nord et sud du 3e pylône (pl. 19). Il devenait alors évident que des obélisques de section et donc de dimensions proches de ceux de Thoutmosis Ier avaient reposé sur les fondations recouvertes par le 3e pylône.

Ainsi, de très grands obélisques comme ceux de Thoutmosis III n’y avaient plus leur place pour les raisons qui vont suivre (pls. 14, 15). La surface du lit de pose de ces derniers obélisques est restituable (2,4 x 2,4 m) grâce à l’imposant fragment (dont le lit de pose est conservé) toujours placé en équilibre sur la base en granite nord (pl. 15), et également à l’aide du fragment n° 75 (pl. 14) de l’obélisque sud (largeur : 2,34 m). Un obélisque de cette section n’aurait pu être installé sur les fondations enfouies sous le 3e pylône. En effet, le plan des vestiges des deux paires d’obélisques placées entre les 3e et 4e pylônes (pl. 19) montre un très large débord de la base en granite au pourtour du fût de chaque obélisque. Ce débord important (~1 coudée) existe autour des obélisques de Maâtkarê entre les 4e et 5e pylônes aussi bien qu’autour de ceux de Thoutmosis III devant le 7e pylône. Au contraire, ce large débord n’existe pas sur l’ancien plan restitué6 des obélisques placés à l’aplomb des fondations conservées sous le 3e pylône. La planche 33 de notre étude La cour à portique de Thoutmosis IV représente la restitution des obélisques de Thoumosis III (2,4 x 2,4 m), mais avec déjà ce point d’interrogation indiqué en légendes sur les autres planches.7 En effet, la section de l’obélisque restitué de Thoutmosis III m’apparaissait déjà trop importante pour les fondations sous le 3e pylône (pls. 19, 34). Il devenait donc indispensable d’identifier un obélisque dont la section inférieure lui permette de reposer sur une base en granite ayant cette faible surface (3,14 x 3,24 m).8

Une troisième paire d’obélisques au nom de Maâtkarê-Thoutmosis II a été restituée par L. Gabolde9 avec une très grande hauteur (28 m) et, par conséquent, une surface de leur lit de pose identique à celle des obélisques de Thoutmosis III, et ce, bien qu’aucun fragment de la base des deux fûts n’ait été identifié (pls. 10, 11). Cette grande surface du lit de pose reposait sur l’attribution hypothétique d’un fragment d bien conservé dont le texte semblait proche de la base du fût10 (pl. 16). Or ce fragment d avait déjà attiré mon attention en raison du lieu de sa découverte par Legrain contre le parement sud de la base adossée au môle sud du 3e pylône11 (pl. 7). Mais, surtout, sa largeur (2,323 m) était bien supérieure à celle d’un assemblage de six fragments attribué par L. Gabolde12 aux obélisques de Maâtkarê-Thoutmosis II. Certains de ces fragments sont remployés en dalle de plafond du vestibule de la chapelle de Philippe Arrhidée (pls. 10, 11). En effet, les hiéroglyphes gravés sur cet assemblage forment la fin du texte qui est nécessairement proche de la base du fût de l’obélisque. Cet assemblage conserve deux longs joints parallèles, perpendiculaires à la face décorée qui, aujourd’hui, forme le sommet du plafond. Le joint de droite qui coupe partiellement la colonne de texte a certainement été taillé au moment du remploi du fragment d’obélisque en plafond. Le joint de gauche est distant de 79 cm de la colonne de texte, mais son appui contre la dalle voisine empêche de voir si sa face est lisse. Si c’était le cas, ce joint appartiendrait alors au parement perpendiculaire de l’obélisque, et cela permettrait de restituer la section de son fût à ce niveau à ~4 coudées (79 + 52,5 + 79 = 212,5 cm). Cette section est comparable à celle de l’obélisque sud de Thoutmosis Ier qui, comme on l’a vu plus haut, aurait parfaitement convenu aux bases en granite reposant sur les fondations enfouies sous le 3e pylône. Cependant, on ne peut écarter l’hypothèse que ce joint gauche ait également été retaillé pour adapter le bloc à sa place dans le plafond de la chapelle. La distance entre le texte et l’angle de l’obélisque pourrait alors être égale ou supérieure à 79 cm.

Cette importante différence de section du fût entre les deux assemblages proposés par L. Gabolde13 m’a mené à réexaminer comment celui-ci en est venu à attribuer le premier d'entre eux (sa figure 114) à l’obélisque de Maâtkarê-Thoutmosis II :

- Obélisque nord de Thoutmosis III :15
‘Deux des côtés ont été surchargés de colonnes latérales de textes ramessides : le côté est (hiéroglyphes orientés à gauche, colonnes complètes) et le côté sud (hiéroglyphes orientés à droite, mais, sur cette dernière face, la gravure de Mineptah est restée inachevée et n'a concerné que le tiers supérieur du fût). De ce fait, ce monolithe est incompatible avec nos vestiges; en effet, les hiéroglyphes de ces derniers sont orientés à gauche et, dans ce cas, soit il s'agirait de la face est (mais elle devrait porter des textes ramessides), soit il s'agirait de la face nord (mais son côté adjacent, à gauche, le côté est, devrait encore porter des textes ramessides, ce qui n'est pas le cas)’.16

- Obélisque sud de Thoutmosis III :
‘Des colonnes de textes ramessides avaient été ajoutées sur ses faces sud, est et nord, et très vraisemblablement aussi sur sa face ouest, celle que l'on découvrait en entrant, ce qui le rend assurément incompatible avec nos vestiges’.17

Si comme il le décrit, la face nord de l’obélisque sud (pl. 14a) a bien été surchargée d’une colonne de texte ramesside de part et d’autre du texte axial thoutmoside,18 les deux autres faces est et sud (la face ouest ayant disparu) ne possèdent que le texte axial thoutmoside (pl. 14c+d, à l’exception du sommet du nom d’Horus ajouté). Il me semble que L. Gabolde a proposé une restitution illogique. En effet, il est fort probable que, comme pour l’obélisque nord (pl. 15b), la face ouest de l’obélisque sud (pl. 14b) n’ait pas été surchargée de textes ramessides, et cela pour la bonne raison qu’après la construction du 3e pylône par Amenhotep III, les faces ouest des obélisques adossés à ses môles étaient moins visibles, à l’exception peut-être de leur sommet. On ne peut donc plus éliminer de la face ouest de l’obélisque sud de Thoutmosis III (pls. 14b, 16) l’assemblage b+c+d attribué par L. Gabolde à Maâtkarê-Thoutmosis II.19

Comme sur l’obélisque nord de Thoutmosis III (pl. 15), il est possible que les textes ramessides de la face nord de l’obélisque sud (pl. 14a) n’aient été gravés que sur le tiers supérieur du fût. Cependant, dans l’hypothèse où les textes ramessides ont été gravés jusqu’en bas de la face nord du fût, l’absence de hiéroglyphes sur les petites surfaces conservées des faces perpendiculaires à la face inscrite du fragment d (pls. 14b, 16) ne prouve pas l’absence de texte ramesside. En effet, comme on le voit sur la face est de l’obélisque nord (pl. 15d), ce texte ramesside conserve une largeur uniforme sur toute sa hauteur, alors que la surface lisse le séparant de l’angle de l’obélisque s’élargit vers le bas en raison du talus des parements de l’obélisque. Le fragment d (pls. 14b, 16) étant proche de la base de l’obélisque en raison de sa grande largeur (232,3 cm), il est possible que les vestiges sans décoration des parements perpendiculaires aient bordé le texte ramesside qui n’aurait pas été conservé ici.

Cette réattribution, à la suite de Legrain,20 du fragment d à la face ouest de l’obélisque sud de Thoutmosis III (pls. 14b, 16) permet de supprimer cet assemblage des obélisques de Maâtkarê-Thoutmosis II et, par conséquent, de diminuer leurs dimensions (section et hauteur) de façon à ce que ces derniers puissent reposer sur les petites bases en granite dont l’empreinte est visible sur les deux fondations d’obélisques enfouies sous le 3e pylône (pl. 34).

Proposition de chronologie des trois paires d’obélisques

Les obélisques de Thoutmosis Ier

On pourrait supposer que Thoutmosis Ier fit préparer une paire d’obélisques devant être dressés devant le 5e pylône. Cependant ces obélisques n’y furent jamais installés et restèrent au sol. Comme il est hasardeux de voir dans la grande fosse remplie de sable découverte devant le môle nord du 5e pylône la préparation d’une fondation d’obélisque,21 il me semble que l’hypothèse suivante soit plus plausible.

Une dédicace gravée sur la face ouest de l’obélisque sud de Thoutmosis Ier décrit leur emplacement (pls. 6, 7): ‘Ériger pour lui (Amon) deux obélisques à la rw.ty du temple’. L’emplacement de cette rw.ty du temple a été assimilé à la porte du 4e pylône parce que les obélisques de Thoutmosis Ier se dressaient devant. Mais le terme rw.ty est aussi inscrit ailleurs, principalement sur l’axe sud :

Comme me l’a fait remarquer Ch. Van Siclen, rw.ty semble être le terme employé pour désigner un passage principal. Ces deux mentions de rw.ty sur l’axe sud permettent de supposer que les obélisques aient d’abord été dressés par Thoutmosis Ier devant la grande porte que son prédécesseur Amenhotep Ier plaça sur l’axe sud24 (pl. 5e). Legrain décrivit ainsi la découverte de ses blocs (pl. 4e):

‘La porte d'Aménothès Ier fut abattue et enfouie de propos délibéré… Le plus haut de ses blocs est encore inférieur de 50 cm au niveau du sol de Thoutmosis III. La masse totale repose sur un sol damé, durci, composé de petits cailloux et d'une sorte d'escarbilles [morceaux de braises incomplètement brulées] que je n'ai pu exactement définir. Il était situé à 2,66 m au-dessous de celui de Thoutmosis III (+72.34). (Nous remarquerons que le grand pilier d'Ousirtasen était couché a une altitude à peu près semblable)… Nous pensons aussi que la porte d'Aménothès fut détruite sur place, c'est-à-dire qu'elle se trouvait non loin de là... Elle fut détruite par la base, car aucun des soubassements n'a été retrouvé. Aucune pierre ne porte de traces de feu. La chute eut lieu vers le sud, autant qu'il ressort de l'emplacement des blocs. Les plus méridionaux se trouvaient être ceux qui composaient le grand bas-relief [linteau] extérieur. Leur direction générale était est-ouest. À dix mètres de là, environ, nous rencontrâmes, à peu près rangés parallèlement, les blocs composant le bas-relief [linteau] intérieur. Par contre, les montants, assez bouleversés, allaient plutôt selon une ligne nord-sud’.25

‘Les blocs composant la porte d'Aménothès Ier jonchaient un sol durci composé de terre damée et d'une escarbille noirâtre dont nous n'avons pu déterminer la nature. C'est là, sous les pierres écroulées, que nous avons rencontré un dépôt fortuit composé de faïences diverses et d'un grand fossile calcaire.
- A. La pièce la plus importante est une grande faïence découpée, montrant le roi passant vers la gauche, coiffé du pschent et présentant le pain. Elle est d'un fort bon style et ne mesure pas moins de 35 cm. Elle était brisée en trois morceaux, la face contre terre. La couleur primitive était verte; une mince feuille d'or recouvrait cette représentation.
- B. Devant elle, recevant l'offrande, se trouvait une image de Minou. Nous n'en avons retrouvé qu'une main et le haut du fouet.
- C. Nous trouvâmes encore : un fragment de bâton en forme de serpent sur lequel se lisait distinctement le cartouche Djéserkarê au moment de la découverte; les couleurs se sont affaiblies depuis; une tête de sceptre Ouas, des fragments d'un grand signe ankh et enfin les morceaux d'un de ces cercles de faïence imitant les outen, comme dans le tombeau de Mahirpra’.26

Il est désormais possible de restituer l’emplacement de cette grande porte sud d’Amenhotep Ier presque à l’endroit même où ses blocs ont été découverts dans la ‘cour de la cachette’. En effet, des photos anciennes27 montrent un mur en brique orienté est-ouest, dont six assises ont été mises au jour et dessinées par Legrain, juste au nord des blocs étalés de la porte d’Amenhotep Ier (pls. 2, 3, 4a+b+c+d+f). Voici la description qu’il en fit :

‘II y a une dépendance ou seconde favissa de l’autre côté de la route qui va de l’obélisque de Thoutmosis Ier au 7e pylône. Elle est parfaitement déterminée et présente la coupe suivante :
- A. Dallage de grès et de calcaire amorphe.
- B. Six rangs de briques.
- C. Couche de sable.
- D. Remblai composé d’environ 75% sable, 20% de tîn, 5% brique.
Le tout s’arrête, brusquement, au sud devant un terrain plus ancien taillé à pic F et un autre E dans lequel se trouvent des pierres du monument d’Amenothès Ier d’enfouissement préatonien’.28

Il paraît logique d’identifier ces six assises en brique aux fondations de l’imposante clôture en brique crue dans laquelle cette porte monumentale devait être encastrée.

Cette porte a la particularité d’avoir deux vantaux comme l’indique la surface non décorée des tableaux de l’embrasure (pls. 2, 3). Lorsque cette porte fut démantelée par Maâtkarê,29 la reine aurait alors mis à terre les deux obélisques de Thoutmosis Ier qui étaient bien placés devant la rw.ty du temple, la porte sud d’Amenhotep Ier. Puis, Thoutmosis III les fit ériger à nouveau, en même temps que ses propres obélisques, sur les longues fondations communes qu’il installa entre le 4e pylône et les obélisques de Maâtkarê-Thoutmosis II. Bien qu’aucune inscription n’ait été conservée sur le 4e pylône, ce dernier fut dès lors assimilé à la rw.ty en raison du texte la mentionnant sur la face ouest de l’obélisque sud de Thoutmosis Ier (pls. 6, 7). Ainsi la grande porte sud d’Amenhotep Ier et sa nature de rw.ty furent oubliées jusqu’aux fouilles de Legrain. Cette grande porte a peut-être remplacé une porte d’Ahmosis comme semblerait l’indiquer le linteau au nom de ce roi remployé dans le tableau oriental de la grande porte d’Amenhotep Ier (pl. 3b). Cette porte d’Ahmosis aurait probablement remplacé une porte primitive de Sésostris Ier, probablement l’ancêtre du 7e pylône, dont le tableau ouest était décoré d’une scène de montée vers le temple d’Amon avec une niche creusée dans le parement30 (pl. 1).

Intervention de Maâtkarê au début de son règne

Après son couronnement, Maâtkarê fit construire à l’ouest du 4e pylône, de part et d’autre de l’axe, deux fondations écartées31 sur lesquelles allaient reposer les deux obélisques au nom de Maâtkarê-Thoutmosis II32, dont les dimensions sont semblables à celles de l’obélisque sud de Thoutmosis Ier (pls. 8, 10, 11, 19, 34).

Intervention de Maâtkarê vers l'an 16

Autour de l’an 16, Maâtkarê fit dresser une nouvelle paire d’obélisques sur les fondations à trois assises qu’elle fit construire devant le 5e pylône33 (pl. 12). Ces obélisques furent ensuite rapidement chemisés par ses soins (pl. 12).

Deux paires d’obélisques sont représentées sur le mur du fond du portique sud de la première terrasse34 du Djeser-djeserou. On les voit d’abord couchés sur une grande barge où la longueur restituée de l’obélisque de droite est bien inférieure à celle de celui de gauche. Dans l’hypothèse où cette différence de longueur est l’image de la réalité, il est possible que le plus petit des obélisques représente la paire au nom de Maâtkarê-Thoutmosis II et le plus grand la paire de la Ouadjyt. Puis, à la suite de cette scène de navigation, Maâtkarê consacre quatre obélisques à Amon. Les fûts de ces derniers sont gravés d’une colonne de texte centrale et une scène décore leur pyramidion tel qu’on le voit encore sur les fragments conservés de ces deux paires d’obélisques de la reine.

Première intervention de Thoutmosis III

Thoutmosis III fit construire, dans la grande cour consacrée par Maâtkarê à Thoutmosis II, à l’est des obélisques de Maâtkarê-Thoutmosis II, deux nouvelles longues fondations dont chacune des quatre extrémités fut coiffée d’un gradin en grès supportant une base en granite (pls. 13, 19). Il fit redresser sur leur extrémité orientale les obélisques de Thoutmosis Ier (pls. 6, 7) et il installa sur leur extrémité ouest une nouvelle paire d’obélisques à son nom (pls. 14, 15). Les nouvelles fondations étant moins écartées que celles des obélisques de Maâtkarê-Thoutmosis II, ces derniers ne cachaient pas le parement ouest des obélisques de Thoutmosis III. L’explication par L. Gabolde35 de l’ordre de construction des fondations des obélisques repose davantage sur la facilité à manier les blocs virtuellement que sur la réalité du terrain et sur les poids à prendre en considération pour leur manipulation. En effet, il semble avoir oublié que les énormes blocs de ces fondations sont imbriqués les uns dans les autres comme les pièces d’un leggo et que, par conséquent, leur ordre de pose est imposé par cette imbrication36; qu’il aurait été très imprudent de creuser une profonde fosse de fondation (hauteur : 4 m) entre des obélisques déjà en place, comme il en fait l’hypothèse hasardeuse pour installer les obélisques de Thoutmosis III entre les obélisques de Thoutmosis Ier, à l’est, et ceux de Maâtkarê-Thoutmosis II, à l’ouest (pls. 19-33).

Seconde intervention de Thoutmosis III

Au moment de la ‘soi-disant proscription’, Thoutmosis III fit effacer le nom de la reine sur la paire d’obélisques aux noms de Maâtkarê-Thoutmosis II pour le remplacer par celui de Thoutmosis II, alors que le nom original de ce dernier est resté intact (pls. 10, 11). Sur les obélisques orientaux de la reine, il fit remplacer chaque représentation de Maâtkarê par une table d’offrande. Cependant, il ne put effectuer ce martelage sur les obélisques du chemisage, leur moitié inférieure étant entièrement cachée par ce dernier, et leur moitié supérieure l’étant partiellement par la couverture en construction de la salle à colonnes papyriformes appelée Ouadjyt. Le pyramidion et les cinq registres supérieurs sont restés visibles au-dessus de cette couverture (pl. 12). Sur les quatre faces de l’obélisque sud, le nom et la figure de la reine ont été martelés sur les 3e et 4e registres à partir du pyramidion. Puis ils ont été restaurés au nom de Thoutmosis III sur deux faces, alors que les deux autres l’ont été plus tard à celui de Séthi Ier. Sur l’obélisque nord, seul le 5e registre montre un remaniement puisque, le nom d’Amon ayant été effacé dans le cartouche d’Hatshepsout-Khenemetamon, ce cartouche a été regravé au nom de Séthi Ier. Une seule exception apparaît au 6e registre de l’obélisque nord (à partir du haut du parement ouest) sur lequel le torse de la reine et son cartouche ont été martelés, probablement parce que la couverture de la Ouadjyt n’était pas encore achevée à cet endroit. Si le martelage a bien été effectué sur la partie de l’obélisque sud dépassant le chemisage, l’obélisque nord semble y avoir échappé en grande partie. En revanche, Akhénaton fit soigneusement effacer le nom et la représentation d’Amon sur la partie visible des deux obélisques.

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier

Cette chapelle en calcite a été reconstruite en 2005, entre les copies des deux obélisques de Thoutmosis Ier, à l’entrée du musée en plein air de Karnak. Afin de réaliser cette anastylose, une étude préalable de l’ensemble des fragments a été réalisée et publiée d’abord en français en 2007, puis en anglais en 2010.37

L’encastrement de la chapelle d’Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (pls. 17, 18) a été remis en cause dans un article écrit en 2012 par L. Gabolde.38 La suite va montrer que cette contestation repose sur un plan malheureusement déformé et par conséquent inexact du parvis du 4e pylône.39 En effet, ce plan40 n’est pas superposable au plan topographique du temple de Karnak (pl. 19). Si les proportions sont bien respectées dans le sens nord-sud, elles sont comprimées de presque 10% dans le sens est-ouest, ce qui complique l’encastrement de la chapelle dont les dimensions sont, elles, incompressibles (et à peu près justes sur ce plan) ! Un détail légèrement agrandi sur une seconde figure de l'article41 représente l’espace coté entre les deux bases sud. Comme cette figure n’a pas d’échelle, je l’ai superposée au plan topographique. Mais, contrairement au dessin précédent,42 les bases des obélisques ont ici les bonnes proportions, alors que la chapelle a été représentée beaucoup plus longue que sa reconstruction. Ainsi, sur le plan, la chapelle a des dimensions correctes, mais les bases des obélisques sont trop rapprochées, tandis que sur la figure, les bases sont justement positionnées, mais la chapelle est beaucoup trop longue. De telles distorsions de la réalité ont malheureusement induit en erreur l’auteur de ces illustrations.

D’autre part, les mesures utilisées dans cet article reposent sur la base d’obélisque adossée au sud de la porte du 3e pylône (pl. 19). Or, l’emplacement de cette base soulève une interrogation puisqu’elle a été déplacée par Pillet pour permettre le transport du plafond de la chapelle d’Amenhotep II, qui était remployé dans le môle sud du 3e pylône.43 Aujourd’hui, la face orientale de cette base sud n’est pas parallèle à la face ouest de la base sud de Thoutmosis Ier (écart entre les bases de 2,07 m au nord et de 2,17 m au sud), alors que sa face ouest n’est pas alignée avec celle de la base symétrique de Thoutmosis III au nord. Ces deux anomalies laissent un doute sur le fait que Pillet ait remis cette base sud exactement à sa place d’origine après le passage du plafond. Ayant moi-même fait déplacer d’imposants monolithes, je reconnais la difficulté d’une telle manœuvre aussi bien aujourd’hui qu’avec les moyens de l’époque. À l’origine, cette base était probablement installée légèrement plus à l’ouest de façon à ce que les faces ouest des deux bases de Thoutmosis III soient bien alignées (pl. 19).

Cependant, même si cette base sud était aujourd’hui à sa place primitive, rien n’empêcherait le fond de la chapelle d’Amenhotep II de s’y encastrer, comme s’encastre son côté sud dans la base sud de Thoutmosis Ier. Malheureusement, l’angle sud-ouest de la chapelle n’étant pas conservé au niveau de la base sud en granite de Thoutmosis III, on ne peut plus le constater précisément (pls. 19-33).

Le problème de place soulevé par L. Gabolde concerne l’angle nord-ouest de la chapelle où un petit bloc muni d’un tore a été encastré dans la maçonnerie (pl. 29). Ce bloc n’ayant aucun lien structurel avec ceux du parement interne de la chapelle, sa reconstruction à ce niveau n’est qu’hypothétique et il aurait pu être placé plus haut, ce qui aurait mis la ligne de sol conservée à un niveau supérieur à celle du côté sud. Ces différences de niveau de ligne de sol dans le même monument sont très courantes.

Enfin, les mesures de L. Gabolde ne possèdent pas la précision requise puisqu'elles reposent sur deux bases dont les dimensions sont inconnues (pl. 19) :

Enfin les photographies de la fouille de la ‘cour de la cachette’44 ne révèlent aucune trace des fondations du soi-disant mur fantôme proposé par J.-Fr. Carlotti45 pour positionner la chapelle d’Amenhotep II dans cette cour (pl. 4). Au contraire, les découpes de fondation de la chapelle sont bien réelles dans l’arase de fondation des obélisques de l’axe ouest-est, devant le 4e pylône, alors que rien n’a été découvert dans la ‘cour de la cachette’. En ce qui concerne les lignes talutées incisées sur le parement ouest du mur oriental de la cour, lignes qui guident l’hypothèse de J.-Fr. Carlotti, il est plus sensé d’y voir le contour d’un naos appliqué contre le parement de façon à abriter le sphinx qui s’y trouvait46 (pl. 36).

Pour conclure, cette remise en cause de mes travaux est la conséquence d’un raisonnement que l’on peut dire circulaire, car il s’autojustifie et ne prend pied à aucun moment dans l’ancrage d’un quelconque réel archéologique.

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Legrain, G. (1904), ‘Rapport sur les travaux exécutés à Karnak du 28 septembre 1903 au 6 juillet 1904’, ASAE 5, pp. 265-280.

Letellier, B. et Larché, Fr. (2014), La cour à portique de Thoutmosis IV, Paris: Soleb éditions.

Masson, A. et Millet, M. (2007), ‘Sondage sur le parvis nord du 4e pylône’, Karnak 12, pp. 659-679.

Naville, E. (1907), Deir el-Bahari, vol. 6, Londres: EEF.

Sauneron, S. et Vérité, J. (1969), ‘Fouilles dans la zone axiale du 3e pylône à Karnak’, Kémi 19, pp. 249-276.

Traunecker, Cl. (1982), ‘Estimation des dimensions de l’obélisque ouest du VIIe pylône’, Karnak 7, pp. 203-208.

Wallet-Lebrun, Chr. (2010), Le grand livre de pierre. Les textes de construction à Karnak, Paris: AIBL-Soleb éditions.

Planches

Planche 1

Hypothèse de restitution de la porte sud de Sésostris Ier

Planche 2a

La grande porte sud d'Amenhotep Ier

Planche 2b

La grande porte sud d'Amenhotep Ier

Planche 3a

La grande porte sud d'Amenhotep Ier

Planche 3b

La grande porte sud d'Amenhotep Ier

Planche 4

L'emplacement de la grande porte sud d'Amenhotep Ier

Planche 5

Les constructions restituées d'Amenhotep Ier et de Thoutmosis Ier

Planche 6

Les obélisques de Thoutmosis Ier

Planche 7

Les obélisques de Thoutmosis Ier

Planche 8

Les constructions restituées de Maâtkarê, phase a

Planche 9

Les constructions restituées de Maâtkarê, phase a

Planche 10

Les obélisques au nom de Maâtkarê, phase a, regravés au nom de Thoutmosis II

Planche 11

Les obélisques au nom de Maâtkarê, phase a, regravés au nom de Thoutmosis II

Planche 12

Les constructions restituées de Maâtkarê, phase b

Planche 13

Les constructions restituées de Thoutmosis III, phase c

Planche 14

L'obélisque sud au nom de Thoutmosis III, phase c

Planche 15

L'obélisque nord au nom de Thoutmosis III, phase c

Planche 16

Les fragments b, c, d et 75 de partie inférieure de l'obélisque sud de Thoutmosis III, phace c

Planche 17

Les constructions restituées d'Amenhotep II

Planche 18

Les constructions restituées d'Amenhotep II

Planche 19a

Plan inexact de la chapelle d'Amenhotep II encastrée entre les obélisques de Thoutmosis Ier devant le 4e pylône (d'après Gabolde (2012), p. 474, figs. 12 et 13)

Planche 19b

Plan inexact de la chapelle d'Amenhotep II superposé à celui des fouilles des fondations des obélisques devant le 4e pylône

Planche 19c

Plan de la chapelle d'Amenhotep II encastrée entre les obélisques de Thoutmosis Ier devant le 4e pylône

Planche 19d

Plan des fondations des obélisques restitués devant le 4e pylône

Planche 19e

Plan des fondations des obélisques devant le 4e pylône

Planche 20

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupes HH et CC)

Planche 21

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe EE et JJ)

Planche 22

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe HH)

Planche 23

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe CC)

Planche 24

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe EE)

Planche 25

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe JJ)

Planche 26

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe KK)

Planche 27

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe KK, vue détaillée)

Planche 28

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe BB)

Planche 29

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe BB, vue détaillée)

Planche 30

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe LL)

Planche 31

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe LL, vue détaillée)

Planche 32

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe AA)

Planche 33

La chapelle d'Amenhotep II entre les obélisques de Thoutmosis Ier (coupe AA, vue détaillée)

Planche 34

Les fondations des obélisques de Maâtkarê (Thoutmosis II), phase a, sous le 3e pylône

Planche 35

Les niches de mâts du 8e pylône décorées par Amenhotep II

Planche 36

L'impossible appui de la chapelle d'Amenhotep II